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Acte fondateur de l'association

Etudiants en master 2 de Philosophie à Paris 1, nous avons décidé de fonder l’association « Psychanalyse et société contemporaine » afin de porter, dans une approche pluridisciplinaire (en particulier psychanalyse, philosophie et sociologie), une interrogation sur les grands enjeux contemporains. Parce que la vie de l’Université et de ses étudiants ne saurait se couper de l’époque dans laquelle elle prend place, nous considérons qu’il est de notre responsabilité de faire vivre le débat au sein même de l’Université et d’élaborer une réflexion critique à partir des connaissances que nous y acquérons. Notre association a donc pour but de réaffirmer la fonction sociale de l’Université et de permettre aux étudiants d’y participer activement. A cet égard, nous pensons que la psychanalyse constitue une invite à l’exploration de tous les champs du savoir (sciences humaines, sciences de la nature, philosophie) en tant que sa pratique nous confronte à la réalité individuelle et collective du malaise inhérent à notre culture.


Plus que jamais, la question des modèles sur lesquels notre société est construite est au centre des préoccupations actuelles de tout chercheur et chercheuse, mais notre époque nous confronte peut-être de manière plus grinçante et terrifiante à la question de la définition, de la reconstruction rationnelle des modèles qui nous ont effectivement été transmis. Dans une Lettre ouverte à cette génération qui refuse de vieillir[1] un collectif de trentenaires anonymes, tous diplômés de l’enseignement supérieur, et pour une partie, sans situation sociale fixe, pousse un cri de désespoir et de haine contre ce qu’il tient pour un non-modèle, un modèle où l’égoïsme selon eux, n’a pas fait suffisamment place à l’amour et au devoir d’éducation. Cette génération (les enfants des baby-boomers, nés du milieu des années 50 à la fin des années 60) a pu ainsi se considérer elle-même comme trompée par le (non ?)modèle éducatif de ses propres parents : « soixante-huitards infantiles », ou bien « conservateurs traditionalistes », dans les deux cas perçus comme radicalement égoïstes, adeptes de la fuite en avant et « incapables d’un travail sur leur propre symptôme » alors qu’ils étaient la génération du « tout-psychanalyse ». Qu’en est-il à présent de notre propre génération, dite « numérique », qui doit quant à elle faire face très tôt à cette interrogation sur ce qui lui a été transmis, plus jeunes encore que ne l’étaient les auteurs de la Lettre ouverte : « y-a-t-il ou non des coupables, des « responsables » de notre malaise, social et psychologique ? » ; « nous a-t-on transmis un modèle d’éducation spécifique, ou bien sommes-nous dans une impossibilité apparente à identifier précisément les modèles d’éducation et les systèmes de valeur que nous acceptons ou rejetons consciemment ou non ? » « Nos difficultés psycho-sociales viennent-elles de nos parents, de ce que nos grand-parents leur ont fait peser d’éducation trop stricte, ou de non-éducation du fait de l’effondrement progressif des repères et modèles familiaux traditionnels, de ce que les arrière-grand-parents ont connus de guerre.... Y-a-t-il encore seulement des « coupables » ? La question centrale est ici celle de la constitution de l’autonomie individuelle, et de ses rapports à la capacité humaine à s’appuyer sur le modèle des identifications parentales pour les dépasser dans l’acceptation des interdits fondamentaux (meurtre, inceste), qui permettent la sociabilisation, et la transformation de ce matériel de départ, rendant possible sa transmission sous une forme adaptative. Le malaise que traverse en ce sens notre société, est précisément celui de la difficulté pour les nouvelles générations à identifier le modèle qui les singularise en propre par rapport à leurs parents, étant donné que le modèle social sculpté par le néo-libéralisme numérique, tend à neutraliser, amoindrir, les différences générationnelles. Sur le plan psychologique, les psychiatres et psychanalystes, au vu des évolutions concrètes des profils cliniques auxquels ils sont confrontés quotidiennement, semblent considérer que les changements socio-économiques et techniques produits par le néo-libéralisme numérique font que la névrose traditionnelle semble céder le pas à la formation plus généralisée d’individus pervers, psychotiques, ou carrément « désaffiliés » (sans trace aucune de symptôme, et donc d’éducation, d’affection repérable, et ce quoi que les parents puisse consciemment dire ou faire). Les névroses elles-mêmes (entendues comme « modèle standard » de la formation du psychisme occidental), ont l’air de ne plus pouvoir se rapporter au complexe d’oedipe de la même façon qu’il y a encore cinquante ans (bien que le complexe d’oedipe semble toujours conserver son rôle structurel), ainsi que le soutient le sociologue A. Ehrenberg, dans une contribution à la Revue Freudienne de Psychanalyse[2].

A travers un parcours thématique sur l’état actuel des discours scientifique et technique, politique, religieux, artistique, psychanalytique (clinique), que nous voulons le plus synthétique possible, afin d’ouvrir au maximum la discussion, nous serons ainsi amenés à travailler ensemble à l’élaboration d’une compréhension des enjeux qui se posent spécifiquement pour définir notre génération, ce qu’elle a reçu en héritage, et ce qui lui est donné de transmettre, puisqu’inventer c’est toujours réinventer, et que donner un visage possible à notre avenir, commence par la définition de notre propre mémoire collective.

Le projet de l’association « Psychanalyse et société contemporaine » se définira ainsi autour des points suivants :

- Créer un espace d’échange et de discussion où l’ensemble des participants seront conviés à intervenir autour de la psychanalyse et de ses rapports avec les autres sciences humaines, dans l’objectif de produire un point de vue critique sur les enjeux de société contemporains.

- Ouvrir tout particulièrement un champ de réflexion transversal et synthétique autour de problématiques telles que : les conséquences des nouvelles technologies de l’information, de la communication et de l’image sur le désir (statut actuel de l’objet du désir dans la culture de l’image) ; faire discours en politique à l’heure de la crise de la représentation démocratique (statut de l’autorité, sécularisation, retour du religieux) ; statut du discours de la psychanalyse dans les savoirs contemporains ; le problème de la transmission et des rapports inter-générationnels (conséquences des transformations socio-économiques sur les schémas familiaux).

- Mettre en oeuvre des partenariats avec des départements de recherche afin d’ancrer concrètement notre point de vue dans la réalité socio-culturelle (notamment avec les Archives Dolto, le département d’Anthropologie psychanalytique du CNRS ainsi qu’avec les étudiants en psychopathologie de Paris VII).

- Créer un site Internet permettant de compiler sous diverses formes (retranscription des séances, vidéos, enregistrements audio, articles originaux) les communications des étudiants et des intervenants.


Nous sommes nombreux à partager ces questionnements, c’est pour cela que nous vous invitons avec enthousiasme à venir partager ce travail d’échange et de réflexion collective.

[1] Lettre ouverte à cette génération qui refuse de vieillir, ouvrage collectif anonyme, éd. Terrenoire. Le philosophe français Bernard Stiegler a écrit produit une réflexion sur ce texte.

[2] Alain Ehrenberg, Narcissisme, individualisme, autonomie : malaise dans la société ? Revue Freudienne de Psychanalyse, numéro 78, 2014, Puf.


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